Pierre Bastien rend hommage au tournevis et approfondit son exploration de l'« ailleurs », en même temps que de la matérialité du son, grâce aux rouages de son vaste Mecanium, machine-instrument unique composée d'une section rythmique, d'une section harmonique à six soupapes jouant six accords majeurs, d'un violon à clou rotatif, de huit embouchures de flûte tournantes, et d'un squelette de tourne-disque automatisé.
« A mon échelle, je devais un jour ou l'autre rendre un pareil hommage à l'outil qui m'a servi à construire le Mecanium, de 1976 à ce jour. [...]
Origine des origines, avant même que prenne forme le dispositif qui engendre les sons, le tournevis meccano se démarque du tournevis traditionnel par sa forme singulière : une simple tige de métal aplatie à une extrémité, et arrondie en boucle oblongue à son autre extrémité. La boucle permet la prise en main ; l'aplat s'insère dans la tête fendue de la vis. Déjà présente dans les premiers coffrets du jeu de construction au début du vingtième siècle, cette forme de tournevis semble avoir été façonnée par un précurseur du Bauhaus : entièrement repensée, simplifiée et fonctionnelle, elle m'a aidé une fois encore à composer le présent disque. »
The screwdriver, Pierre Bastien
Dans Tools, Pierre Bastien explore sous un angle nouveau sa fascination de longue date pour le concept d'ailleurs. Le titre fait écho à un article de René Van Peer qui s'ouvre sur cette formule concise : « Je compose avec un tournevis ». Bastien joue sur des instruments qu'il construit lui-même – assemblages mécaniques composés principalement d'éléments Meccano – qui structurent non seulement la musique, mais aussi une image de la musique. Plutôt que de chercher le récit ou la métaphore, n'imaginons encore rien, Bastien nous invite d'abord à observer la matérialité brute de ses mécanismes : le choc des engrenages, le bourdonnement de la rotation, la tension entre la précision et l'accident.
La machine-instrument à l'origine de ce disque se composait d'une section rythmique, d'une section harmonique à six soupapes jouant six accords majeurs, d'un violon à clou rotatif, de huit embouchures de flûte tournantes, et d'un squelette de tourne-disque automatisé.
Le dispositif cache ses secrets. Ce qui en émerge, imprévu, porte l'essence même de la découverte. L'inattendu demeure invisible jusqu'à ce qu'il se matérialise. Découvrir, c'est comprendre que le monde que nous connaissions vient de s'élargir. Voilà pourquoi le processus de Pierre Bastien nous rappelle précieusement que l'ailleurs (et sa multitude de mondes) nous observe déjà, ici.
Après des débuts au hochet comme tout le monde, Pierre Bastien (né en 1953 à Paris) construisit vers dix ans une guitare à deux cordes, à partir des éléments du jeu « Le Petit Physicien ». Vers quinze ans il élabore une première machinerie consistant dans un métronome flanqué à droite d'une cymbale, à gauche d'une poêle à paella.
Ces expériences enfantines pourront paraître dérisoires, elles le sont à peine comparées à ses premiers actes de musicien adulte, puisqu'il a d'abord l'occasion de jouer du torchon de vaisselle, le maniant comme un fouet pour le faire claquer devant le micro, dans le disque
Parallèles de
Jac Berrocal. De ce disque le public retiendra surtout un titre,
Rock'n Roll Station avec Vince Taylor, Berrocal à la bicyclette, et Bastien dans un ostinato d'une note à la contrebasse.
Malgré ce départ peu conventionnel, et grâce peut-être à la survivance simultanée d'un certain esprit dada chez ses contemporains, Pierre Bastien est alors amené à travailler avec de grands artistes : Dominique Bagouet,
Pascal Comelade,
Pierrick Sorin, DJ Low, Robert Wyatt ou Issey Miyake.
En même temps il a longuement construit et mis au point un orchestre domestique et privé fait de dizaines de robots en Meccano, joueurs d'instruments de musique traditionnels et parfois d'objets usuels. C'est avec ces machines regroupées sous le terme
Mecanium, et d'autres issues de pratiques voisines, qu'il enregistre ses albums et donne ses concerts.